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Le Monde Diplomatique, Avril 1990, page 24;25
DE BRIE CHRISTIAN

Ces banquiers complices du trafic de drogue
Source :  Le Monde Diplomatique, Avril 1990, page 24;25
DE BRIE CHRISTIAN

 A QUI PROFITE LE COMMERCE DES NARCOTIQUES?

LA r�pression du commerce illicite des stup�fiants a, jusqu'� pr�sent, surtout frapp� consommateurs et producteurs. Pourtant, le march� reste domin� par le crime organis� et par ses indispensables alli�s sans lesquels il ne peut prosp�rer: les banques et le milieu politique. Aussi, apr�s des ann�es d'aveuglement et de compromission, la r�cente volont� des �tats de mettre un terme au trafic de drogue laisse dubitatif. Il faudra beaucoup de vertu aux d�mocraties pour s'en prendre � la pire forme d'un capitalisme sauvage par ailleurs triomphant.  

Jamais, sans doute, la communaut� internationale n'avait d�ploy� une activit� aussi intense dans la lutte contre le trafic de drogue qu'au cours des derniers mois. Le groupe des sept grands pays industrialis�s, la Communaut� europ�enne et le Conseil de l'Europe, l'Organisation des Nations unies, les pays concern�s d'Am�rique latine (en particulier la Colombie), se sont engag�s dans une action ouverte et concert�e contre les narcotrafiquants, pr�sent�s comme la nouvelle et principale entreprise de d�stabilisation des soci�t�s d�mocratiques.

Une s�rie d'�v�nements t�moigne de cette r�cente orientation: cr�ation d'un groupe d'action financi�re internationale (GAFI) charg� de proposer des mesures concr�tes contre le blanchiment de l'argent de la drogue, lors du sommet des Sept � l'Arche de la D�fense, � Paris, en juillet 1989, ainsi que d'un Comit� europ�en de lutte anti drogue (CELAD) dans le cadre de la Communaut�; succ�s de la guerre ouverte men�e depuis octobre par l'Etat colombien contre le cartel de Medellin; capture du g�n�ral Noriega apr�s une brutale intervention militaire am�ricaine au Panama en d�cembre; sommet anti drogue de Carthag�ne en f�vrier, suivi d'une session extraordinaire de l'ONU consacr�e � la coop�ration internationale contre les drogues illicites (1); vaste campagne de mobilisation de l'opinion publique pour une politique justifiant des mesures exceptionnelles (2); d�mant�lements de r�seaux et saisies de stocks sans pr�c�dents (3).

Et pourtant, la nature, l'organisation et le fonctionnement du trafic international des drogues, le r�le qu'il joue dans l'�conomie mondiale sont tels que l'issue du combat reste incertaine et la mani�re dont il est engag� contestable.

Tout d'abord, les actions r�cemment entreprises ont �t� pour l'essentiel focalis�es sur le trafic de la coca�ne. Pour des raisons pas toujours �videntes (voir l'article de Michael Klare dans le Monde diplomatique de mars 1989). Or la coca�ne ne repr�sente que 20 % du march� mondial des stup�fiants, contre 50 % pour les opiac�s, essentiellement l'h�ro�ne, et 30 % pour le cannabis qui pourtant ne sont pas combattus avec des moyens comparables. Alors que, par exemple, les "triades" chinoises de Hongkong - toutes aussi puissantes et dangereuses que les cartels colombiens, - qui commercialisent en particulier l'h�ro�ne d'Asie, diss�minent leurs activit�s dans le monde, dans la perspective du rattachement de la ville � la Chine (4).

De plus, le crime organis� n'est qu'un des partenaires du commerce international des stup�fiants, qui est une activit� �conomique combattue mais aussi prot�g�e. M�me en optant pour un chiffre d'affaires global minimum de 150 milliards de dollars par an (5) - tr�s loin des �valuations un peu mythiques et peu cr�dibles annonc�es partout officiellement de 300 et aujourd'hui 500 milliards de dollars, - elle est une des toutes premi�res activit�s mondiales. Mais surtout, elle d�borde largement son secteur. En supposant que 20 % du chiffre d'affaires, hypoth�se raisonnable compte tenu des taux de profit, soient r�investis r�guli�rement depuis vingt-cinq ans dans des placements l�gaux de p�re de famille, c'est un capital de 2 000 milliards de dollars qu'aurait engendr� le trafic de drogue. Plus qu'il n'en faut pour intervenir dans tous les secteurs de l'�conomie mondiale, la source devrait-elle se tarir d�s aujourd'hui.

L'histoire universelle du trafic de drogue reste � �crire. Les quelques exemples expos�s dans l'article ci-dessous n'en sont que des �pisodes parmi des dizaines d'autres. Choisis � dessein, ils �clairent certains aspects du commerce mondial des stup�fiants.

Celui-ci n'a pas commenc� il y a quelques ann�es avec la coca�ne et le cartel de Medellin. Il fait partie int�grante de l'�conomie mondiale depuis plus d'un si�cle, et les bases de son organisation actuelle ont plus de trente ans. Or il a fallu attendre le milieu des ann�es 80 pour que juges et policiers comprennent la structure internationale des organisations, commencent � �changer des informations par-del� les fronti�res et conduisent des enqu�tes parall�les. C'est seulement depuis quelques mois que les responsables politiques des principaux pays concern�s s'avisent d'engager une action concert�e. Pourquoi si tard? Est-ce parce qu'ils d�couvrent, pour reprendre l'expression du pr�sident Fran�ois Mitterrand, que "la puissance meurtri�re des trafiquants s'installe en pouvoir concurrent des Etats (6)"?

La r�ponse au d�fi ne peut se r�duire � un combat manich�en entre le bien et le mal. Car le commerce international des drogues illicites est un trafic trilat�ral. A trois titres.

Tout d'abord, il concerne essentiellement trois produits: h�ro�ne, coca�ne, cannabis, qui pourraient si n�cessaire �tre remplac�s demain par d'autres aussi dangereux.

Ensuite, le trafic est domin� par trois grandes organisations criminelles qui contr�lent la transformation, le transport et le commerce de gros: les cartels colombiens de Medellin et Cali pour la coca�ne, les triades chinoises de Hongkong pour l'h�ro�ne du Triangle d'or d'Asie, la Mafia sicilienne pour l'h�ro�ne du Croissant d'or au Proche-Orient. Le march� du cannabis reste tr�s ouvert et concurrentiel.

Enfin et surtout le commerce de la drogue fonctionne sur la base d'un partenariat entre trois participants: le milieu des trafiquants, le milieu des affaires, le milieu politique.

Fantastiques accumulations de capitaux

LE premier est, depuis peu, partiellement connu. A la base, des organisations ferm�es, voire secr�tes, constitu�es en familles (stricte hi�rarchie, code de conduite, apprentissage de la violence, loi du silence sanctionn�e par la mort) prennent le contr�le d'un territoire (village, commune, quartier urbain) qu'elles mettent en coupe r�gl�e sous couvert d'assistance et de protection: rackets, vols et trafics, usure, jeux et prostitution, ran�ons, march�s publics, corruption ou liquidation physique des opposants, y compris les responsables politiques, les juges et les policiers; jusqu'� la soumission. Avec des variantes, on retrouve les m�mes structures dans les triades chinoises, les mafias siciliennes, corses, am�ricaines, les cartels colombiens. Plus on s'�l�ve dans la hi�rarchie des familles, plus on s'�loigne de l'action criminelle directe: on commandite, g�re les profits, entretient les relations n�cessaires avec les pouvoirs l�gaux en pr�sentant toutes les apparences de la respectabilit�. Les plus grands criminels des mafias ne touchent jamais une arme; ils vivent dans les r�sidences et h�tels des quartiers hupp�s, font des affaires, fr�quentent la "jet set", se piquent de culture artistique, pratiquent offices religieux et pr�lats (7).

Les fabuleux profits tir�s du trafic de drogue, s'ils n'ont supprim� aucune des activit�s traditionnelles qui perdurent, ont engendr� une s�rie de guerres meurtri�res, jamais termin�es, entre les familles pour le contr�le des fili�res et des r�seaux (la guerre enclench�e par les Corl�anais en Sicile a fait en quelques ann�es pr�s d'un millier de victimes).

En g�n�ral, ceux qui ma�trisent la transformation du produit de base (pasta en coca�ne, morphine-base en h�ro�ne) assurent leur domination et utilisent les autres familles mafieuses comme sous-traitants dans le transport et la commercialisation des produits. L'int�gration est verticale et les zones strictement partag�es; chaque pays, chaque r�gion, chaque ville, chaque quartier, chaque rue, font l'objet d'une attribution � l'issue de conqu�tes ou de d�licats arbitrages.

Les fantastiques accumulations de capitaux permettent d'intervenir � des niveaux de plus en plus �lev�s: ministres, parlementaires, maires, juges, policiers, personnel p�nitentiaire. Les moyens: corruption, chantage, menace ou liquidation physique. Les investissements r�alis�s p�sent sur des secteurs entiers de l'�conomie nationale: finance et Bourse, immobilier, tourisme et loisirs, show-business et march� de l'art, transports, industries (textiles, automobile...), voire, on l'a vu en Bolivie et en Colombie, sur la balance commerciale et celle des paiements. Ils rendent possible la conduite d'une strat�gie � l'�chelle mondiale en utilisant et diversifiant au maximum les moyens juridiques et techniques de transfert, d'implantation, de communication. Flottes a�riennes (du jet � l'h�licopt�re) et maritimes (cargos, yachts, vedettes ultrarapides), a�roports priv�s, immenses propri�t�s refuges, r�seaux de t�lex et de fax, �quipements �lectroniques et informatiques sophistiqu�s, firmes d'import-export, de transit douanier, de location de conteneurs (il en passe 5 000 par jour dans le seul port de Rotterdam), norias d'avocats et de conseils en tout genre, sont r�partis � travers le monde.

En de��, des milliers de passeurs, "mules" et "fourmis", de toutes nationalit�s et de toutes apparences (m�decins, commer�ants, fonctionnaires, cadres, religieuses, m�res de famille accompagn�es, retrait�s...) transportent chaque jour quelques dizaines de grammes de drogue d'un point � un autre, dissimul�s dans leurs bagages, leurs v�tements (parfois amidonn�s � la coca�ne), sur leurs enfants (jusqu'� des nourrissons morts, �visc�r�s et bourr�s d'h�ro�ne) ou dans leurs corps "farcis" de boulettes de drogue aval�es dans des petits sachets en latex. Ils transitent par des circuits a�riens compliqu�s, noy�s dans la foule des passagers (40 millions de voyageurs passent chaque ann�e dans les seuls a�roports de Paris).

Plus loin, d'autres milliers de semi-grossistes, d�taillants, revendeurs, petits dealers, eux aussi de toutes nationalit�s et de tous les milieux, qu'il faut approvisionner, surveiller et contr�ler, faire payer et restituer l'argent.

Sans oublier les centaines de tueurs, pr�ts � assassiner, pi�ger � la bombe, enlever, torturer, d�capiter, dissoudre dans un bain d'acide ou immerger dans un bloc de b�ton n'importe quelle personne sur simple demande; ou encore sur un coup de t�l�phone, de faire un saut de Palerme � Miami "ex�cuter" un contrat le temps d'un aller et retour en Boeing 1re classe.

Un privil�ge exorbitant

DEUXI�ME partenaire, le milieu des affaires, en l'occurrence le r�seau bancaire et financier international, dont on a du mal � penser qu'il puisse collaborer avec le pr�c�dent. Son r�le effectif et son implication sont moins connus et, on s'en doute, moins volontiers mis en �vidence.

Quelle que soit l'activit�, � partir, disons, d'un million de dollars de chiffre d'affaires, rien n'�chappe aux banquiers, pas m�me le denier du culte. Depuis la Renaissance, la banque est au coeur de la civilisation mat�rielle et de l'�conomie capitaliste (8). Elle en a �t� le promoteur et l'inspirateur, tissant ses r�seaux � travers l'Europe, puis le monde, ing�nieuse, cr�atrice, strat�ge, puissante, agissant au mieux de ses int�r�ts et de ses ambitions, pour le meilleur et pour le pire. Pendant des si�cles, elle a financ� les conqu�tes coloniales, la traite des Noirs, les guerres les plus fratricides et meurtri�res; par comparaison, la drogue n'est qu'un march� parmi d'autres. Au cours des derni�res ann�es, un flot d'argent facile s'est d�vers� avec les p�trodollars. Il s'est amplifi� avec la d�r�glementation n�olib�rale, la mondialisation des activit�s financi�res, l'�conomie casino, la rapacit�, la fr�n�sie de sp�culation et de profit d�cha�n�es partout, l'encouragement donn� aux responsables de faire de l'argent sans s'embarrasser de scrupules ni de r�glements et contr�les gouvernementaux, les moins performants �tant sanctionn�s; la mise au pinacle de grands escrocs, de Michele Sindona � Yvan Boeski (9), choy�s par les hommes d'affaires, les politiciens, les universit�s de management. La banque et la finance �taient depuis longtemps pr�par�es � accueillir l'argent de la drogue, psychologiquement et techniquement.

Depuis des lustres, elle blanchit et recycle l'argent de la fraude fiscale; des transferts illicites de capitaux; des trafics d'armes, de denr�es, de tabac, d'alcool, de marchandises; des pots-de-vin et commissions occultes; des fausses factures; des fortunes pill�es par les dictateurs et tyrans du monde entier... Blanchir et recycler, c'est pr�cis�ment le probl�me des trafiquants. Les milliards de devises, produit de la vente, arrivent en petites coupures qui ne tiennent ni dans des valises ni m�me sur des palettes. Il faut les d�poser par petits paquets (10) sur des comptes ouverts, les regrouper sur d'autres comptes au nom d'interm�diaires complaisants, avocats, consultants, agents de change, courtiers, entrepreneurs de services, puis les virer sur des �tablissements prot�g�s par le secret, les laver par une circulation intensive de virements t�lex entre de multiples places � travers le monde, les regrouper enfin et les ventiler au nom de soci�t�s de fa�ade, les "coquilles d'hu�tres", qui investiront dans des activit�s l�gales ou accorderont des pr�ts sans retour � l'envoyeur - pr�ts "back to back" (11) - d�positaire d'origine, pour financer ses op�rations.

Tout cela, les banques savent le faire. Elles ont des r�seaux mondiaux �quip�s � cette fin et jouissent d'un privil�ge exorbitant: le secret � l'�gard des tiers, y compris l'Etat, en particulier dans les paradis qu'elles contr�lent, pudiquement appel�s fiscaux mais qui seraient mieux d�nomm�s paradis de la criminalit�, version moderne des �les et ports o� les pirates de l'ancien temps accumulaient les produits de leurs pillages. Pour les services rendus, r�mun�r�s par une commission sur chaque transaction, il y a beaucoup d'argent � gagner. Bref, les deux partenaires ont besoin l'un de l'autre.

On conna�t les arguments des banques, soucieuses de respectabilit�. Tout d'abord: pas d'Etat ni de bureaucratie dans les affaires qui doivent rester sous la responsabilit� des banquiers, seuls professionnels comp�tents et par ailleurs soumis au contr�le des gardiens publics. L'exp�rience a amplement d�montr� qu'en cas de difficult�s c'est toujours l'argent public qui vient au secours des banques d�faillantes, parfois apr�s que les responsables se sont volatilis�s, fortune faite. Ce fut le cas, entre autres, pour des milliards de dollars de la Franklin National Bank en 1974, ou de la Penn Square Bank en 1982, et aujourd'hui du vaste r�seau des caisses d'�pargne et de retraites, pour se limiter aux Etats-Unis (12). De plus, le secteur bancaire est le moins surveill� du commerce international: en g�n�ral, pas de licence exig�e pour exporter des capitaux, aucune information � fournir sur les �changes internationaux, aucune barri�re physique. On peut "faxer" des milliards de dollars d'un coin � l'autre du monde et brouiller les pistes de fa�on qu'aucun enqu�teur ne puisse s'y retrouver: quantit�, rapidit�, protection garanties. Peu de temps avant la faillite frauduleuse de la Penn Square Bank, le plus c�l�bre des cabinets d'audit financier, Peat Marwick, avait assur� le public de l'excellence des comptes de l'�tablissement. Or personne ne contr�le les contr�leurs.

Une d�linquance en costume trois pi�ces

ENSUITE, deuxi�me argument invoqu� par les banques: elles fuient les affaires criminelles, en particulier celles de la drogue. S'il leur arrive, rarement, d'�tre impliqu�es, c'est � leur insu ou en raison de l'ind�licatesse d'un responsable qui sera sanctionn�. Au reste, elles ne sont pas arm�es pour contr�ler l'origine des d�p�ts, l'identit� r�elle des d�posants qui se cachent derri�re des comptes ou des soci�t�s de fa�ade. Aussi grossier soit-il, l'argument, bien orchestr�, porte. En r�alit�, non seulement les banques ne fuient pas l'argent de la drogue, mais elles se livrent � une concurrence acharn�e pour le capter.

C'est en constatant l'extraordinaire prolif�ration, en quelques ann�es, de banques de toutes nationalit�s, � Palerme et � Catane, en Sicile, � Miami et Los Angeles que les enqu�teurs italiens et am�ricains ont acquis la conviction que ces places �taient devenues des plaques tournantes du trafic de l'h�ro�ne et de la coca�ne. Dans les moindres villes des zones de coca, en Bolivie, au P�rou, en Colombie, on trouve des succursales de banques am�ricaines, britanniques, n�erlandaise, allemandes, suisses, fran�aises. Pour quelles affaires et quel argent, sinon ceux de la drogue?

Quant � dire qu'elles ne sont pas �quip�es pour enqu�ter sur l'origine des d�p�ts et l'identit� des d�posants, c'est une plaisanterie pour quiconque conna�t les minutieuses investigations personnelles, familiales et patrimoniales, les prudentes garanties que ces m�mes �tablissements sont en mesure d'accumuler sur quiconque sollicite un pr�t, m�me modeste. Partout � travers le monde, un nombre consid�rable de banques et de succursales acceptent tous les jours le d�p�t ou le retrait en liquide de millions de dollars, les op�rations sous un compte num�rot� ou un pr�te-nom, derri�re le double �cran d'un avocat et d'une soci�t� fiduciaire dont elles ne veulent conna�tre ni l'origine ni la destination, pas plus que l'identit� et l'activit� r�elle des clients, en vertu de normes qu'elles se sont elles-m�mes fix�es. Parmi les tr�s nombreuses banques impliqu�es depuis longtemps dans le blanchiment de la drogue (une dizaine de grandes maisons en Suisse, plus de vingt � Miami) figurent, outre celles cit�es dans l'article ci-dessous, des noms aussi connus que la Chase Manhattan, l' American Express, la banque Louis-Dreyfus, l'Algemene Bank Nederlande et des firmes de courtage comme Merrill Lynch. R�gle d'or: fermer les yeux, pourvu que le d�linquant porte un costume trois-pi�ces gris flanelle.

Et pour ce qui concerne les sanctions que les banques infligent � leurs responsables ind�licats, on a pu v�rifier dans nombre d'affaires que celles-ci consistaient souvent en s�jours de vill�giature, indemnit�s et tous frais pay�s, en attendant d'�tre affect�s dans un autre lieu, ville ou pays. C'est bien le moins pour des cadres efficaces et d�vou�s qui jouent, en fait, le r�le de fusible, prot�geant l'�tablissement et sa hi�rarchie.

Enfin, les paradis fiscaux sont leur domaine d'�lection. Il en existe une bonne cinquantaine dans le monde, sans compter ceux qui s'ouvrent dans les pays de l'Est ou � l'int�rieur des grands �tats pour des op�rations sp�cifiques. Ils sont principalement regroup�s dans trois zones g�ographiques correspondant � la trilat�rale des grands trafics de la face cach�e de l'�conomie mondiale (13).

En Europe, c'est la Suisse qui domine et joue sans doute le r�le de capitale mondiale; mais aussi le Luxembourg, le Liechtenstein, l'�le de Man, Jersey et Guernesey, Monaco, Andorre, Gibraltar, le Vatican... En Am�rique, dans les Cara�bes, ce sont les Bermudes, les Bahamas, les �les Cayman, la Jama�que, Panama, Belize, les Antilles n�erlandaises, les �les Turks et Caicos, Antilla, Saint-Barth�lemy, Antigua, la Barbade, etc. En ASIE-PACIFIQUE: Hongkong, Macao, Taiwan, Singapour, Vanuatu, Nauru, Tonga...

Conditions pour acc�der au paradis: secret bancaire et commercial absolu; stabilit� politique; r�seau de communications efficace: a�roport, h�liport, t�l�communications; libre circulation des capitaux et tout type de transaction en n'importe quelle devise; exon�ration fiscale; assistance technique pour la constitution de toute forme de soci�t� sans contr�le et avec un minimum de formalit�s: banques et compagnies off shore (14), soci�t�s fiduciaires et blind trusts (15). Peu nombreux sont ceux satisfaisant � toutes ces exigences qui constituent l'id�al du capitalisme sauvage, mais tous s'efforcent d'y parvenir.

Les �les Cayman et le Liechtenstein comptent respectivement autant de t�lex et de soci�t�s que d'habitants, Jersey est pleine de petites maisons � la fa�ade enti�rement couverte de plaques nominatives, abritant le si�ge social de dizaines de soci�t�s fictives enfouies dans les casiers de l'administrateur juriste qui occupe les lieux. En Suisse, o� la qualit� du service est irr�prochable, le visiteur est accueilli � l'a�roport, puis, � l'abri des curiosit�s, transport� avec son pr�cieux chargement en voiture aux vitres teint�es jusqu'aux sous-sols de la banque d'o� il gagnera en ascenseur les bureaux feutr�s pr�vus pour sa r�ception. Dans les Cara�bes, l'h�liport est souvent � l'entr�e de la banque, en fait le seul parking des clients venus d'ailleurs, en passant, d�poser des sacoches bourr�es de dollars.

La Suisse et quelques autres pays mis � part, tous les paradis fiscaux sont des cr�ations artificielles, dont l'ind�pendance ou l'autonomie est fictive. Anciennes colonies ou rest�es sous la tutelle du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la France, des Etats-Unis, de l'Espagne, leurs activit�s criminelles ne se d�veloppent et perdurent que par la volont� des grandes puissances, du monde des affaires et des banques, qui en tirent des profits illicites. Toutes les grandes multinationales et �tablissements financiers y ont des dizaines de filiales sp�cialis�es par activit� ou type d'op�rations entre lesquelles circulent chaque ann�e des centaines de milliards de dollars �chappant � tout contr�le, dont les narcodollars. M�me la banque du Vatican, l'Institut des oeuvres de religion (IOR), avait ses filiales dans les paradis fiscaux, en particulier � Panama, se livrant � toutes sortes d'op�rations de placement et de sp�culation, immobiliers, financiers, industriels (y compris le contr�le d'une entreprise fabriquant des pr�servatifs!).

Les sommets de l'�tat

RESTE le troisi�me partenaire: le pouvoir politique et l'appareil d'�tat, sans lesquels milieu criminel et milieu des affaires ne pourraient � long terme maintenir leurs activit�s communes. Laxisme, complicit� ou participation active? La plupart des Etats ont tard� � prendre conscience du poids des organisations et des circuits mondiaux du commerce et du financement de la drogue. Les multiples services de police et de justice comp�tents ont �t� longtemps mis en concurrence les uns les autres, priv�s de collaboration internationale, cantonn�s dans la r�pression des petits dealers et des consommateurs, d�courag�s de longues, fastidieuses et incertaines investigations susceptibles de mettre en cause des personnages importants. Petites affaires, petits probl�mes, grosses affaires, gros probl�mes, selon l'adage des professionnels. Grossir le nombre d'arrestations et de saisies, gonfler les statistiques, assez pour que la pression d'une menace d'extension du fl�au justifie de cr�dits suppl�mentaires, pas trop pour que les r�sultats de la r�pression n'apparaissent, par comparaison, d�risoires. Cette logique bureaucratique est encore dominante.

Complicit�, lorsque le milieu criminel a r�ussi au fil des ans � tisser sa toile au sein de l'appareil d'�tat, � corrompre ou tenir par la menace ou le chantage ministres, parlementaires, hauts fonctionnaires, maires, policiers, juges, personnel p�nitentiaire, soigneusement choisis et plac�s � des postes-cl�s, dont on contr�le la carri�re. Lorsque le pouvoir politique renonce � sanctionner les milieux d'affaires impliqu�s, autrement que par des mesures symboliques, � prendre les moyens et les dispositions qui s'imposent.

Complicit� encore, lorsque, en d�finitive, il pr�f�re composer, accepter et g�rer un compromis pour un partage tacite d'une partie du pouvoir, violant ainsi les principes institutionnels qui fondent sa l�gitimit�.

Sans aller chercher quelques lointains exemples, c'est d�j� le cas d'au moins deux pays europ�ens: la Suisse, si l'on veut bien �tre attentif � l'analyse qu'en fait Jean Ziegler (16), et l'Italie. Depuis quarante ans, la D�mocratie chr�tienne au pouvoir (mais aussi le Parti socialiste) s'est tellement compromise avec la Mafia, pas seulement en Sicile mais jusqu'au sommet de l'�tat, les milieux d'affaires ont depuis si longtemps accept� de travailler avec elle, qu'elle s'est install�e en pouvoir concurrent profond�ment immerg� dans tous les rouages de l'activit� politique, �conomique et sociale, des campagnes �lectorales au conseil des ministres, du sport aux manifestations culturelles, des grands groupes industriels r�cemment constitu�s � la Bourse de Milan...

Inexpugnable par les moyens de r�pression classique, m�me consid�rablement renforc�s, comme l'a bien montr� l'�chec des grands proc�s, sans une r�volution culturelle qui concerne toute la soci�t� et un retour aux principes et valeurs qui fondent la d�mocratie. Ce que les Italiens commencent � d�couvrir concerne tous les autres peuples et pas seulement un ar�opage de chefs d'Etat...

 

Notes:

(1) La France a cr�� en d�cembre 1989 une d�l�gation g�n�rale � la lutte contre la drogue confi�e � Mme Georgina Dufoix, charg�e de la coordination, sur le plan national et international, de la politique anti-drogue.

(2) Voir Christian de Brie, "Des cultures illicites impos�es par la loi du march�", le Monde diplomatique, octobre 1989.

(3) En particulier trois saisies de 8 tonnes, 9 tonnes et 22 tonnes, effectu�es aux Etats-Unis fin 1989.

(4) Lire: Gerald L. Pesner, Triades, la mafia chinoise, Stock, Paris, 1990.

(5) Evaluation 1987, avanc�e sur la base d'une analyse d�taill�e, par Jean-Fran�ois Couvrat et Nicolas Pless dans la Face cach�e de l'�conomie mondiale, Hatier, Paris, 1989.

(6) Discours d'inauguration de l'Arche de la Fraternit�, � Paris, le 26 ao�t 1989, le Monde, 29 ao�t 1989.

(7) Lire: Fabrizio Calvi, la Vie quotidienne de la Mafia de 1950 � nos jours, pr�face de Leonardo Sciascia, Hachette, Paris, 1986.

(8) Lire: Fernand Braudel, Civilisation mat�rielle, �conomie et capitalisme, Armand Colin, Paris, 1979.

(9) Respectivement banquier international d'origine sicilienne et sp�culateur "initi�" de Wall Street.

(10) La loi am�ricaine, le Bank Security Act de 1970, oblige les banques � d�clarer les d�p�ts en esp�ces sup�rieurs � 10 000 dollars.

(11) Financement parall�le de garantie; consiste � se faire pr�ter des fonds d�pos�s dans un paradis fiscal sous couvert d'une soci�t�-�cran

(12) Sur les pratiques frauduleuses des banques am�ricaines, lire: Penny Lenoux, Am�rique SA, Deno�l, Paris, 1984.

(13) Titre du livre de J:F. Couvrat et Nicolas Pless, op. cit.; lire �galement: Laurent Leservoisier, les Paradis fiscaux, PUF, Paris, 1990; Andr� Beauchamp, le Guide mondial des paradis fiscaux, Grasset, Paris, 1983.

(14) Pour toutes activit�s ext�rieures au pays d'implantation.

(15) Soci�t�s dans lesquelles il est impossible d'identifier le ou les b�n�ficiaires.

(16) Jean Ziegler, la Suisse lave plus blanc, Le Seuil, Paris, 1990.  

 
 


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