ANNE DE VLAMINCK, et DENIS VAN EECKOUT ESMERALDA BORGO Bond Beter Lefmilieu - - - - - - - - - - - 99,9% des substances chimiques sur le marché n'ont pas fait l'objet d'une évaluation des risques pour l'environnement et la santé. La Commission le souhaite. L'industrie pas trop! Malgré la contamination de l'environnement par les substances chimiques et leurs effets sur la santé, l'industrie chimique ne veut pas d'une réforme de la législation. Plusieurs études démontrent cependant les bénéfices nets d'une telle réforme sur le plan économique et dans l'intérêt de tous. Plusieurs études américaines (1), concordantes avec celles menées au Japon, au Canada, en Suède, ont révélé des concentrations préoccupantes de retardateurs de flamme (parmi lesquels, les PBDEs (Pentabromodiphényléthers)) dans le lait de jeunes mamans. Ces PBDEs entrent dans la composition de centaines de produits divers: ordinateurs, téléviseurs, voitures, matériel de bureau... Ces substances ont des similarités avec les célèbres PCBs, qui ont été bannis en 1977, après que l'on ait découvert qu'ils sont cause de cancers et qu'ils s'accumulaient dans le corps humain. On peut aussi, entre autres, s'inquiéter des phtalates libérés par les jouets ou encore du biphénol A, que l'on retrouve dans les pots, bouteilles et sachets en plastique et même dans les biberons, ou encore des composés organiques de l'étain, dont certains s'avèrent être des perturbateurs endocriniens, qui se trouvent dans les T-shirts, certains jouets, les matelas... L'exposition aux contaminants chimiques est multiple. L'incidence de certaines maladies, comme les cancers, les allergies, les troubles du système hormonal (endométrioses etc.) a considérablement augmenté au cours des dernières décennies. Certains liens entre ces maladies et les substances chimiques sont démontrés, tels que, par exemple, entre les troubles de la reproduction et du développement observés chez certaines espèces sauvages et l'exposition à des perturbateurs endocriniens. Tant et si bien que les «risques chimiques» commencent à sérieusement préoccuper l'OMS et la Commission européenne (2). Du fait des insuffisances de la législation actuelle, aujourd'hui, plus de 100.000 substances, c'est-à-dire plus de 99% du volume total des substances chimiques se trouvant sur le marché, n'ont pas fait l'objet d'essais et d'une évaluation des risques pour la santé et l'environnement. La situation est telle qu'actuellement de nombreux produits chimiques de synthèse se trouvent dans le lait maternel et les tissus animaux alors qu'on ignore quels sont leurs effets. Pour répondre à ces lacunes, la Commission européenne élabore actuellement un nouveau système qui s'appliquerait à toutes les substances: REACH (de l'anglais, Registration (enregistrement), Evaluation (évaluation) and Authorisation (et autorisation) of CHemicals (des substances chimiques)). L'Europe veut ainsi rassembler progressivement l'information sur les substances chimiques mises sur le marché, en fonction des propriétés dangereuses avérées ou présumées des substances chimiques, des utilisations, de l'exposition et des quantités produites ou importées. Ces idées ont été développée dans un Livre blanc publié en 2001. Depuis, l'industrie chimique n'a de cesse de tout faire pour réduire à néant la proposition de la Commission. Tout récemment encore, l'industrie a semé l'effroi avec les résultats d'une étude réalisée par Arthur D. Little pour le secteur de l'industrie chimique en Allemagne (Federation of German Industries (BDI)). Selon cette étude, la mise en oeuvre du système REACH signifierait la perte de 150.000 à 2,35 millions d'emplois. Cependant, la méthode utilisée, la sélection et l'origine des données, ont été fortement critiquées par le Conseil allemand d'avis en matière d'environnement (German Advisory Council on the Environment (SRU)). En effet, l'analyse des coûts-bénéfices présentée dans l'étude du BDI non seulement sur-évalue les coûts qui seraient supportés par l'industrie chimique, mais ne tient en outre pas compte par exemple d'une efficacité accrue du système en matière de collecte et d'utilisation des données ni des avantages économiques et sociaux, pour l'ensemble de la société, que représenterait la mise en oeuvre du système REACH. L'étude du SRU n'a malheureusement pas reçu la même attention de la part des médias que celle de l'industrie chimique. Il en est de même pour l'étude réalisée par le célèbre économiste David Pearce, à la demande du WWF. Ses conclusions: «Le système REACH générera des bénéfices nets» , du fait notamment d'une diminution des coûts en matière de santé et une amélioration de la productivité. Selon l'Agence fédérale allemande de l'environnement, «les avantages économiques du système REACH ne peuvent être niés. Plus de transparence sur les risques des substances chimiques dans la chaîne de production mènerait à l'utilisation de produits moins dangereux, à une diminution du risque économique pris par les utilisateurs de produits chimiques et à une diminution des coûts, fort lourds, des soins de santé liés aux contacts avec les substances chimiques au travail» . D'une manière générale, cette réforme est un test de la capacité qu'ont les autorités publiques d'assurer à la fois protection de l'environnement et de la santé et une économie performante - en d'autres mots d'assurer un développement durable. La nouvelle politique chimique en Europe présente pour l'industrie de nouvelles opportunités, en termes de compétitivité, d'innovation et de responsabilité. Il s'agit pour les autorités de tenir compte des coûts supportés par la société, en matière de dommages environnementaux et de santé publique qu'occasionnent l'inefficacité de la législation actuelle. Actuellement, ces coûts grèvent d'autant le budget de l'Etat, ce qui n'est pas sans incidences, entre autres, sur la politique de l'emploi. Ainsi par exemple, le coût de la réforme, estimé par la Commission européenne de 1.4 à 7 milliards d'Euros, sur 11 ans, soit 636 millions par an dans l'hypothèse la plus défavorable, est à mettre en regard du coût pour le seul traitement des allergies en Allemagne, qui est de 29 milliards d'euros. Auquel s'ajoute le coût dû à l'amiante, au benzène et bien d'autres... Si l'industrie chimique était fidèle à son image, plutôt que de combattre la réforme, elle devrait plutôt la faire sienne. Pour nous tous. Pour le développement durable. (1) Voir entre autres le site
de l'ONG américaine «Environmental Working Group». © La Libre Belgique 2003 |