Source : Magazine "Nexus" n°41 de novembre-décembre 2005, p. 30-31. des processeurs moléculaires à l'échelle de la planète... dans vos tripes. NANOPARTICULES A VOLONTE En réalité, nous en consommons déjà, dans des limonades, des margarines, sous forme dadditifs que les industriels de lalimentaire ajoutent à leurs produits en toute impunité, aucune réglementation ne statuant sur linnocuité dun additif à une telle échelle. Un paradoxe de taille. En 1999, Kraft Foods, la filiale dAltria (anciennement connue sous le nom de Philip-Morris) qui pède 34 milliards de dollars, a fondé le premier laboratoire de nano-alimentation de lindustrie. Lannée suivante, Kraft a lancé le consortium NanoteK, englobant 15 universités et laboratoires de recherche publics du monde entier. Aucun des scientifiques participant au consortium na une formation spécifique en matière de produits alimentaires ; on y trouve plutôt un mélange de spécialistes en chimie moléculaire ou en science des matériaux, dingénieurs et de physiciens. Examiner les aliments avec les yeux dun ingénieur na rien de nouveau. Depuis trente ans, les scientifiques introduisent les gènes dune espèce végétale ou animale dans une autre à laide des technologies de modification génétique (MG) ; mais cela fait plus de mille ans quon introduit des additifs spéciaux dans les aliments pour obtenir de nouvelles saveurs, textures, couleurs ou autres qualités. Les nanotechnologies feront franchir une autre étape à la manipulation des aliments, avec la possibilité de modifier considérablement la façon dont ils sont produits, cultivés, transformés, emballés, transportés et même consommés. LES ADDITIFS ALIMENTAIRES En fait, les produits nanotechnologiques ont déjà commencé à « apparaître » dans les aliments (même sils sont trop petits pour être vus et si les consommateurs nont aucun moyen de contrôle puisquil ny a ni obligation détiquetage ni réglementation spécifique à la taille). BASF, par exemple, fabrique une nanoversion des caroténoïdes, catégorie dadditifs alimentaires qui confère une couleur orange et se trouve naturellement dans les carottes et les tomates. Certains types de caroténoïdes sont des antioxydants et peuvent se transformer en vitamine A dans le corps. BASF vend ses caroténoïdes synthétiques à des grandes entreprises daliments et de boissons du monde entier qui en mettent dans les limonades, les jus de fruits et les margarines. La nanoformulation leur permet dêtre absorbées plus facilement par le corps tout en augmentant leur durée de conservation. Les ventes de caroténoïdes de BASF représentent chaque année 210 millions de dollars. Ce chiffre inclut à la fois des caroténoïdes à léchelle nanométrique et les autres. En 2002, BASF a soumis un avis GRAS (Generally Recognized As Safe = généralement reconnu inoffensif) pour informer la FDA (Administration américaine des aliments et des médicaments) quelle vendait un caroténoïde synthétique du nom de lycopène (que lon trouve naturellement dans les tomates) comme additif alimentaire. Le lycopène synthétique de BASF est formulé à léchelle nanométrique. Selon BASF, la question de tests spécifiques pour le lycopène sous forme de nanoparticules na pas été soulevée et nétait pas nécessaire parce que « BASF avait la preuve de son innocuité dans diverses évaluations toxicologiques ». La FDA a accepté lavis de BASF sans broncher. Lors dun entretien téléphonique, Robert Martin, de la FDA, a confirmé que la taille navait pas été prise en considération dans lexamen du lycopène synthétique de BASF, expliquant même que « ce paramètre nétait pas un élément dappréciation majeur » dans lexamen réglementaire mais serait abordée « au cas par cas » sil semblait y avoir des implications pour la santé et la sécurité.
AUCUNE RECHERCHE DINNOCUITE Nest-il pas dangereux dajouter des nanoparticules aux aliments ? En quelques mots, la réponse est « on ne peut jurer de rien ». Ni les organismes de réglementation ni la communauté scientifique nont encore pris le taureau par les cornes. A ce jour, ETC Group na repéré quune poignée dadditifs alimentaires à léchelle nanométrique sur le marché, mais il est impossible de savoir avec certitude à quel point leur usage est répandu vu que rien noblige à les étiqueter en tant que tels. Tout comme dans dautres domaines soumis à la réglementation tels que les cosmétiques et les produits chimiques, la question de linnocuité na pas été abordée du point de vue de la taille. Jusquà présent, seuls les fabricants sen sont préoccupés, essentiellement du point de vue des avantages offerts (par exemple, une réduction de taille augmente la biodisponibilité dans lalimentation et la transparence dans les cosmétiques). Dans le cas des additifs naturellement présents dans les aliments, les questions dinnocuité spécifique à léchelle nanométrique ne sont pas claires. A propos du lycopène synthétique, par exemple, le Dr Gerhard Gans, de chez BASF, a expliqué quune fois quil atteint lintestin, il se comporte exactement comme le lycopène naturel dune tomate : il est décomposé par les enzymes digestives et conduit dans le sang, puis vers le foie et les autres organes, sous forme de molécules individuelles. En dautres termes, au moment où ils pénètrent dans le sang, tous les aliments sont à léchelle nanométrique, quils se soient au départ présentés sous la forme dune rondelle de tomate ou dun verre de limonade contenant du lycopène synthétique de BASF. Sans doute en réponse aux interrogations sur linnocuité des nanoparticules, le Dr Gans a souligné que le lycopène synthétique manipulé par les employés de BASF et fourni à leurs clients ne se présentait pas sous forme de nanoparticules ; à ce stade, selon lui, les particules se sont rassemblées en agrégats microscopiques, qui se dissoudront partiellement dans le produit fini. En fin de compte, les enzymes digestives du consommateur ramèneraient les particules à léchelle nanométrique. PAS DE REGLEMENTATION LIEE A LA TAILLE Même si lexplication selon laquelle tous les aliments sont à léchelle nanométrique au moment où ils pénètrent dans le sang tient a priori la route, il est important de noter que BASF a réalisé des essais toxicologiques de son lycopène non pas parce quil sagissait dune formulation à léchelle nanométrique mais parce quil était obtenu par synthèse chimique (et non tiré de fruits et légumes renfermant du lycopène). Si le lycopène synthétique avait déjà été évalué en tant quingrédient alimentaire, les organismes de réglementation nauraient pas obligé BASF à tester linnocuité de sa nanoversion. Voilà pourquoi la perspective
de lajout de nanoparticules aux aliments, en labsence
dattention réglementaire spécifique accordée
à la taille, est inquiétante : quelles substances
déjà autorisées comme additifs alimentaires
à de plus grandes échelles sont en préparation
à léchelle nanométrique et risquent
davoir des propriétés altérées
et des conséquences inconnues ? Particulièrement
préoccupantes seraient les nanoformulations de substances
que lon ne trouve pas naturellement dans les aliments.
|